Déchiffrer le réel
Aimer et défendre la féerie, le
merveilleux, n’oblige nullement à s’enfermer dans une tour d’ivoire, même si la
chose est tentante. Écrire, essayer de traduire par les mots des images,
des sensations, des réflexions, c’est s’intéresser suffisamment au langage pour tâcher d’analyser l’utilisation qu’en font les médias, et
tout type de pouvoir, ainsi que les conséquences de cette utilisation, souvent
abusive et pernicieuse, sur la conscience autant que sur l’inconscient
collectif. Car si le mot n’est pas la chose, il est un symbole puissant qui ne
révèle pas seulement les pensées profondes, mais aide à forger celles imposées d’en haut, et qu’il nous est si facile d’adopter.
Pour une rêveuse telle que moi, aussi
éloignée que possible des logiques comptables répondant aux enjeux
économiques, décrypter le jargon de ceux qui prétendent faire autorité dans ce
domaine n’est pas une mince affaire. Ce devrait être une nécessité pourtant, si
l’on veut être acteurs et non spectateurs, victimes des décisions
politiques prises généralement à notre insu, du fait de notre ignorance
bien nourrie, et presque toujours dans la duplicité.
Ce qui interroge, bouscule, et
finalement convainc dans la démarche du Réseau salariat et du sociologue et
économiste Bernard Friot, c’est cette complète remise à plat, cette attaque salutaire contre les préjugés, par la redéfinition ou la critique
approfondie de formules, si bien martelées depuis des décennies qu’elles
deviennent une vérité absolue pour la plupart d’entre nous. Pour comprendre le
bien fondé des solutions que propose cette association, il est en effet
indispensable de revenir sur nombre de concepts trompeurs. De par notre conditionnement, il est bien
rare que nous sachions encore faire la différence entre travail
et emploi ou salaire et revenu, pour
ne citer que ces deux exemples-là, et c’est en partie parce que nous assimilons
les uns aux autres que les décideurs nous manipulent aussi aisément, y compris
ceux d’entre nous qui croient le mieux résister à leurs dogmes.