Corliande

Auto édition

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15 décembre 2012

Chronique - Le tableau

Le tableau

 Un film de Jean-François Laguionie
Scénario d’Anik Le Ray




            Sorti il y a un an au cinéma, mais toujours disponible en DVD, cet étonnant dessin animé de Jean-Francois Laguionie n’est sans doute plus tout à fait d’actualité. Cependant, son succès critique et populaire ne faiblit pas, et voilà qui est une fort belle surprise. Car, tant par son sujet que par son esthétique, ce film ne ressemble en rien à ce qui nous est couramment proposé. Il est vrai que dans les productions actuelles en matière d’animation, notamment en France, la diversité est la règle et l’on ne peut que s’en réjouir. Malgré tout, rares sont celles qui sortent à ce point des sentiers battus. Tout d’abord, Le tableau s’appuie sur un scénario intelligent, à la fois complexe et accessible au plus grand nombre. Les enfants peuvent apprécier l’histoire qui leur est contée, sans peut-être en mesurer la profondeur, mais avec la perspective toujours encourageante d’une redécouverte future.




Le décor est un tableau inachevé, avec une forêt et un parc au sommet duquel trône un château. Dans celui-ci prospèrent les Toupins, arborant des teintes chatoyantes et se croyant supérieurs aux autres. Les Pafinis, rejetés parce qu’incomplets, vivent relégués dans des huttes au fond du parc et sont partagés entre la rébellion et l’envie de s’intégrer à l’élite. Les Reufs, enfin, simples esquisses incolores, rebut de la société, sont les souffre-douleurs des premiers. L’élément déclencheur de l’intrigue est une relation amoureuse entre Ramo, un Toupin et Claire, une Pafinie, relation vouée à l’incognito ou à la condamnation de la part des deux communautés. Pour mettre un terme à ce conflit, Ramo décide de partir à la recherche du peintre, afin qu’il termine son tableau et instaure ainsi l’égalité. Claire, capturée par les Toupins, est emprisonnée. Mais Lola, autre Pafinie amie de celle-ci, accompagne Ramo dans sa quête. Un Reuf appelé Plume, incorporé de façon fortuite, sera aussi du voyage. 

Bien sûr, l’élément premier du film est la critique sociale, mais il va bien au-delà. Si l’injustice de ce petit monde nous révolte, si l’histoire d’amour nous émeut, des questions moins évidentes nous sont posées : pourquoi un simple constat de différence mène si facilement à la compétition pour le pouvoir ? Cela ne nous est pas dit, mais on peut supposer que les Toupins n’ont guère eut besoin d’utiliser la force, si tant est qu’elle était de leur côté, pour s’emparer du château. Le regard que l’on porte sur soi-même est bien souvent au cœur des antagonismes, lesquels perdurent surtout par la soumission ou le ressentiment stérile. Quelle est en outre la part de choix et d’initiatives individuels, si l’on se considère juste comme les victimes d’un obscur ordonnateur qui nous aurait créés, puis nous aurait oubliés ? De ce point de vue, la réponse apportée au problème des Pafinis et des Reufs, que je ne révèlerai pas ici, est très intéressante. À travers la métaphore de la forêt, la peur de l’inconnu, repoussé au profit du connu, des superstitions et de leur conditionnement pourtant délétère, est aussi évoquée. 

La couleur, dans cette belle œuvre, est évidemment souveraine, avant tout pour sa signification symbolique. Elle est synonyme de richesse et de réussite sociale pour les Toupins, mais aussi d’appartenance à un groupe, ou à une armée, comme dans le deuxième tableau évoquant la guerre. C’est encore ici celle qui divise, mais c’est elle aussi qui amènera la paix. Les scènes situées à Venise célèbrent enfin la couleur emblème de vie, de joie et d’inspiration. Elle s’oppose à la camarde, poursuivant de sa faux le pauvre Reuf qui en est privé. Certains passages, par exemple celui, surréaliste, des fleurs géantes dans la forêt, sont magnifiques. Évoquant les recherches picturales du début du vingtième siècle, on songe à Gauguin, ou Matisse, mais aussi à Gaudi ou Chirico pour les décors, la « palette » est vive, audacieuse et parfois subtile. L’utilisation des techniques numériques pour l’animation comme pour les textures est appropriée, le rendu « coups de pinceaux » servant parfaitement l’esprit du film. On peut préférer la 2D, moins mécanique et plus virtuose du point de vue de l’animation pure, mais sachant quelles difficultés celle-ci aurait posées, on reconnaîtra la pertinence de ce choix et la qualité du travail présenté. La musique de Pascal Le Pennec, enfin, accompagne joliment l’histoire et l’émotion qu’elle suscite.

            Claire exceptée, dont le visage pâle affiche une mélancolie permanente mais voulue, les personnages sont expressifs. L’orateur chez les Toupins est odieux à souhait. Les rencontres avec Magenta, drôle de gamin bien sympathique, et Garance, modèle du peintre amoureux, puis de son autoportrait tourmenté enrichissent brillamment le récit. Mais si le courageux Ramo est au centre de celui-ci, menant souvent l’initiative et apportant la solution, la véritable héroïne du film est Lola. La très jeune Lola, dont la physionomie créole est d’ailleurs significative, se trouve très bien telle qu’elle est et ne se soucie guère d’appartenir à l’un ou l’autre clan. Plus libre que les autres, elle porte aussi plus loin ses pensées, et le fait d’être incomplète, insatisfaite peut-être mais donc sans certitude et en perpétuelle évolution, la pousse à chercher, au delà de ce monde encadré né de l'imaginaire d'un artiste lunatique, des réponses à de bien plus vastes questions.


  
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