Corliande

Auto édition

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19 octobre 2012

Dessin

La chevelure


Le dessin reproduit ci-dessous, réalisé puis présenté à mon entourage il y a quelques années, avait suscité des réactions diverses. Dans l’ensemble positives, certaines relevaient néanmoins d’une interprétation à laquelle je ne m’attendais pas, faisant naître en moi pas mal de réflexions quant à la distance existant parfois entre l’intention de l’artiste et la perception du public. L’utilisation du symbolisme comporte évidemment un risque d’incompréhension. Différents facteurs feront qu’une personne, se projetant toujours plus ou moins dans l’objet qu’elle regarde, y trouvera des éléments extérieurs au sujet. Ces facteurs sont évidemment liés au vécu de l’observateur, à ses références culturelles, mais malheureusement aussi, à la mode toute puissante, laquelle ne se limite pas à des choix de vie, vestimentaires ou mobiliers, mais envahit largement les sphères intellectuelles et artistiques. Qu’elle forge les goûts et dégoûts, cela n’est pas nouveau. Mais elle fait plus. Sa redoutable capacité à imposer des images et des pensées, avec toutes les associations d’idées qui en découlent, fait qu’elle conduit avec une facilité déconcertante chacun d’entre nous, même les plus récalcitrants, non pas à questionner les choses, mais à les affubler de noms et d’expressions toutes faites, croyant ainsi les définir mais ne faisant que les masquer, ce qui aboutit à les faire taire. Dès lors que l’on met un nom sur une chose on cesse de la regarder, disait en substance Krishnamurti. 





Ainsi en alla-t-il de cette jeune femme à la chevelure étrange née sous mes doigts, et qui se vit qualifiée de « SM » (pour sadomasochiste) à ma grande stupéfaction. Je ne m’étendrai pas sur les petits sourires narquois de certains de mes interlocuteurs, fort blessants pour moi qui croyais avoir revêtu mon personnage d’une majestueuse gravité. Susceptibilité exagérée peut-être, mais nul n’aime rencontrer l’incompréhension, de surcroît lorsqu’il estime avoir peaufiné son propos. Certes, il y a une grande part d’inconscient dans tout travail artistique. Celui-ci peut révéler à l’observateur témoin des pensées cachées ou involontaires et donc ignorées de l’auteur. La discussion, de ce point de vue, peut s’avérer très intéressante pour lui. Mais à l’instar de la mode, à laquelle elle n’est d’ailleurs pas étrangère, la psychanalyse, toute puissante elle aussi, a fait selon moi bien des ravages dans l’esprit critique. Comme la mode, elle propose en guise de réponses aux énigmes posées un système d’archétypes et de clichés bien pratique et rapide pour qui veut avoir l’air de connaître, de comprendre, et pourquoi pas, de se croire plus clairvoyant concernant son ouvrage que l’artiste lui-même.
En l’occurrence, je me souviens que ce commentaire, à mon avis sans fondement et terriblement réducteur, m’avait passablement agacée. Rien ne pouvait être plus éloigné de moi et de mes préoccupations que cette identification à ce qui, quel qu’en soit l’utilisation largement galvaudée que l’on en fait, réelle ou superficielle, voire cosmétique, m’est immédiatement et profondément odieux. Car me sont odieuses en toute circonstance l’acceptation ou la recherche de rapports de domination et de soumission. Il ne s’agissait donc pas de cela. Cette reine, puisque reine il y avait, était montrée avec une couronne autour du cou, détail à l’origine du malentendu. Mais l’assimiler à je ne sais quel instrument de torture consentie, n’était-ce pas oublier qu’une couronne est le symbole du « vrai » pouvoir, non de celui des alcôves ? Son emplacement inhabituel voulait juste signifier que ce pouvoir, cette couronne, peut être aussi un carcan ; qu’elle peut forcer celle (ou celui) qui la porte, probablement malgré elle dans le cas présent, à garder toujours la tête haute et à ne jamais se retourner. C’est aussi le sens des démons, qu’ils soient doutes, peurs ou regrets, sentiments d’injustice ou de culpabilité, qui peuplent sa chevelure et qu’elle doit traîner derrière elle sans même pouvoir tendre l’oreille pour les écouter. Or de ma souveraine de légende au destin grandiose mais implacable, que j’imaginais en proie aux affres d’un règne contraint, avec son cortège de cruautés, d’arrêtés impitoyables, d’intrigues de cours et de trahisons, on venait de faire une Vénus de salon !
Une personne très proche m’avait alors conseillé d’écrire un texte, conte ou nouvelle, pour accompagner cette « illustration » qui précisément n’en était pas une. Jugeant que, par ma faute peut-être, par ma manie de trop suggérer, de trop laisser le champ libre à l’interprétation, j’avais dû manquer mon but, je trouvais l’idée intéressante et je me mis au travail. Mais je fus confrontée alors à un nouveau problème, d’ailleurs récurrent chez moi. Pourquoi ajouter à ce qui est déjà là ? Pourquoi s’efforcer d’expliciter ce qui doit avant tout être ressenti ? Dans mon manque d’enthousiasme à terminer le récit commencé, je réalisai que j’avais déjà tout dit dans mon dessin. Au lieu d’une histoire que j’aurais sans doute pu écrire mais qui ne s’imposait pas à moi, et qui ne verra probablement jamais le jour, j’ai donc décidé de publier ce portrait seul, augmenté toutefois d’un article propre, du moins je l’espère, à clarifier le mystère qu’il propose et que je n’avais pas su ou voulu rendre plus intelligible.

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2 commentaires :

  1. Certes. On sait effectivement que toute œuvre artistique, une fois dévoilée, livrée au public, échappe à son auteur et vie sa vie, appropriée par les spectateurs. Ils l'enrichissent de leur vision, de leur vécu, de leur sens (ou de leur contresens). Vouloir à tout prix la “recadrer” en expliquant, justifiant même sa signification donne l'impression que l'auteur veut la garder, ne veut pas la lâcher, imposer sa vision et qu'elle est incomplète, insuffisamment signifiante. Il alourdit l'œuvre d'un sens unique, privant le spectateur de son interprétation, même fallacieuse. Ici, à l'image il ajoute un texte. Il faudrait alors indissolublement lier l'image au texte. Pourquoi pas un son pour préciser une ambiance...
    - Ah oui, c'est une idée ça !
    Écrire tout un texte, voire une nouvelle pour justifier un dessin m'interpelle. Habituellement, c'est l'image qui illustre un texte... Mais, pourquoi pas si ce dessin est le point de départ d'une saga...
    En fait, un simple titre aurait suffit à expliciter son sens, genre « Les affres du pouvoir d'une reine» ou autre pour indiquer aux déviants la véritable intention se son auteur. Mais, même un titre peut être réducteur...
    De toute façon l'œuvre doit vivre sa vie, délivrer son message seule s'il y a message, s'enrichir du regard des autres. Elle est par essence suffisamment explicite et n'a pas besoin d'une sur-couche de sens, même si certains la dévoient, l'écornent, l'abîment.

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  2. Merci, Marjacq, pour votre commentaire. Bien sûr, chacun est libre d'interpréter. Ce que j'essayais de dire, c'est que, malheureusement, cette interprétation peut être faussée. Sans vouloir établir la moindre comparaison, bien des éléments de la vie ou de l'intention d'artistes célèbres ont aidé à comprendre leur œuvre par le passé, rétablissant bien des erreurs commises à leur époque. Même en littérature, beaucoup d'auteurs ont publié des textes pour justifier ou expliquer d'autres textes déjà parus, et je n'ai jamais trouvé cela inutile, si cela peut les éclairer d'un jour nouveau.

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