Corliande

Auto édition

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5 décembre 2010

Un photographe - Emmanuel Romeo


Emmanuel Romeo   



Depuis quelques années, certains grands succès commerciaux aidant, la féerie semble être devenue très « tendance ». Je ne suis pas sûre qu’elle ait vraiment gagné à se retrouver ainsi mise à toutes les sauces, notamment publicitaires. Elle y a surtout perdu beaucoup de ce mystère qui en est pourtant l’essence. Moi-même, j’avoue éprouver une certaine lassitude face à cette surenchère, cette banalisation qui, loin de mettre en lumière les œuvres de qualité, ne font souvent que les ensevelir, les rendre invisibles aux yeux d’une partie du public trop vite rassasiée par ce qui lui est pré-vendu pour aller voir plus loin.


              Certes la féerie n’a pas dit son dernier mot. Il y aura toujours des artistes pour y puiser l’inspiration et nous livrer à travers elle leur propre vision du monde. De surcroît, avec ses compagnons de routes incertaines que sont le surnaturel et le symbolisme, voire l’ésotérisme, elle trouve encore à s’inviter là où l’on ne l’attend pas, et en cela aussi, elle reste fascinante.

A la frontière


             C’est ainsi qu’elle et ses amis croisent très régulièrement le chemin du photographe Emmanuel Romeo. On pourrait se laisser aller à dire que la terre de Bretagne où il vit est traditionnellement propice à ce type de rencontre. Cependant, il ne cède pas à la facilité d’en présenter les vues pittoresques mais déjà connues d’arbre d’or, de menhirs et autres dolmens. Par ailleurs, son œil exercé d’artiste, de chercheur et d’esthète trouverait sans mal de quoi nourrir son travail dans toute région où la nature a conservé un semblant de droits. Car c’est dans les scènes à priori les plus banales qu’il traque le mystère, et que celui-ci se montre à l’heure dite au rendez-vous. On sait en effet combien le temps est important en photographie, et je n’ose imaginer les heures passées à guetter cet esprit farouche et intransigeant, ne retenant que les instants magiques où il daigne se manifester.

Sans titre





La lumière, bien entendu, est primordiale, qu’elle orne de dorures des miniatures de sous-bois, trace des ombres au pinceau sur les lacs (Encres du soir), ou ressuscite en douceur de modestes fleurs fanées (La répétition du petit jour). Le mouvement est tout aussi important, comme celui de l’eau ou du vent qui, sur les choses apparemment inertes, laissent d’indélébiles traces.  Mais si le caprice des éléments et des saisons joue un grand rôle, c’est évidemment au choix des sujets, du cadrage et des angles de prises de vues que revient le mérite de la révélation. Sans le talent du photographe, ces Trois augures dans le brouillard continueraient probablement à taire leurs prophéties, ces enfants champignons resteraient analphabètes (Jours d'école) Et ces Démons ou ces Anges de passage, passeraient effectivement leur chemin en restant ignorés de nous.


Sans titre

               Les arbres, êtres énigmatiques s’il en est, et refuges de maintes créatures occultes, sont matière à d’infinies variations ; souches hirsutes ou givrées, prêtes au coup d’éclat (Le grand départ) ou à l’abandon (L'enfance perdue) ; personnages fragiles, seuls face à un ciel tourmenté ou sentinelles regroupées en ordre vertical rompu par la déviance ou le mal-être d’un unique tronc penché; corridor sans fin que suit sans conviction un fantôme de ruisseau, ou passage nécessaire mais semé d’embûches (Le couloir ambigu) ; témoins et parfois victimes de nos saccages, (Le cri, Outrages) ou réceptacles de nos chimères (Capture d'un songe) ; enchevêtrement de lianes protégeant on ne sait quel secret, ou Palais intérieur dans lequel la lectrice que je suis n’a pas manqué de reconnaître aussi l’œil circonspect de Sylvebarbe,  ils ont beaucoup à dire sur ce qui nous hante, nous attire et nous échappe. 

Sans titre

            Mais bien d’autres visions jalonnent le parcours de cet artiste ; des constructions éphémères et peut-être musicales (Cordes vibrantes) ; des paysages oniriques ou inquiétants (La prairie amnésique, L’asphyxie) ; des symboles involontaires (Ciel et fanions) ; des Champs de bataille désertés (L’heure des illusions, Délivrance) ou le théâtre de souffrances encore vives (La déchirure d'un après-midi) ; la présence presque incongrue d’objets ou d’éléments humains ; des peintures abstraites dues à l’alliance toujours fertile et sans cesse renouvelée de l’air et de l’eau, du sable, des pierres et des feuilles. Parfois, elles se font un peu plus explicites, tel ce pont de bois prolongé en sentier qui semble déboucher sur le vide et l’inconnu, décor romanesque d’une histoire à inventer.

Sens perdus
 
Dans son site, d’une élégante sobriété, Emmanuel Romeo à classé ses photographies en sept albums que je vous invite à explorer attentivement. Chaque image mérite qu’on s’y attarde, et le choix d’en reproduire quelques unes ici ne s’est pas fait sans peine. Nombre d’entre elles n’ont pas de titre, mais ceux qu’il donne sont révélateurs de sa démarche poétique (Aube magnétique, Petit paysage onirique, Les temples éphémères, Sculptures d’ombre) ; certains sont franchement surréalistes (L’interrogation délicieuse, La lumière inutile, Les fenêtres sans mur) ; d’autres non dénués de fantaisie et d’humour (Le croque-ciel, Le bal des résidus, Autoportrait pour plus tard).

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