Corliande

Auto édition

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17 décembre 2010

Définition - Corliande


Ceci n’est pas (tout à fait) de l’héroic fantasy
           


Essai d'enluminure Livre I, Chapitre II









             A la question qui m’a été posée de définir Corliande il m’est assez difficile de répondre, tant ce livre paraît inclassable. Entendons-nous bien : il ne s’agit nullement là d’un jugement de valeur. Je ne prétends pas avoir réussi une sorte d’O.V.N.I. littéraire inédit ne ressemblant à aucun autre. Son non-conformisme, s’il est avéré, et son caractère hybride ont d’ailleurs plus contribué à me fermer les portes des éditeurs qu’à les ouvrir, ce qui n’est peut-être pas la démonstration de son inanité, mais n’est pas non plus la preuve éclatante du contraire. S’entendre dire que son travail n’est pas « formaté », est tout aussi gratifiant que décevant pour l’amour propre, ce terme épouvantable ne signifiant pas obligatoirement qu’il est original mais, plus cruellement, qu’il est « non commercialisable ». Il le fut en effet pour les quelques éditeurs sollicités par moi, et si leur refus, en dépit des qualités que certains lui reconnaissaient, ne me fut pas toujours clairement explicité, je crois en connaître un peu les raisons.  


Ni tout à fait pour la jeunesse, ni réservé aux adultes, ce livre est entre les deux, et ce fut peut-être là le premier obstacle à sa publication. Qu’il me soit donc permis de retourner l’argument en sa faveur : Susceptible, j’espère, de plaire aux adolescents, les deux corliandais héros de l’histoire étant eux-mêmes âgés d’environ treize et quatorze ans au début de leur périple, ma trilogie peut aussi séduire les plus de vingt ans, à condition qu’ils aient conservé un goût prononcé pour l’imaginaire, ce qui est le cas, je pense, d’une bonne partie d’entre nous. Je précise d’ailleurs qu’un peu malgré moi, ou plutôt sans en être vraiment consciente, car un certain recul m’a été nécessaire pour le comprendre, j’ai doté ce projet d’une structure évolutive assez curieuse, faisant « mûrir » les trois volumes à mesure que grandissaient mes personnages. Si le livre I est relativement enfantin, soulevant des questions d’ordre tellurique, voire tribal, celles évoquées dans le livre II sont plus sociétales, et celles du livre III plus philosophiques, si j’ose employer ce terme. Baltos et Serylia quittent leur village, avancent en âge et découvrent la complexité, ce qui transparaît dans la forme et l’agencement du récit. 
Deuxième écueil, le style et l’esprit livrés au lecteur, jeune ou moins jeune, à travers cet ouvrage sont assez différents de ce qui lui est habituellement proposé aujourd’hui dans le domaine de l’imaginaire, autant que je puisse en juger. Sans trop en révéler le contenu je puis dire qu’il n’y est question ni de vampires, ni d’école de sorciers, ni de crimes effroyables. Corliande est un conte féerique, mais s’il se veut dénué de toute mièvrerie, il n’en est pas pour autant le théâtre de combats sanglants entre chevaliers invincibles et puissances maléfiques. Serait-ce une gageure ? J’ai voulu parier sur la possibilité d’intéresser, de surprendre, malgré l’absence de toute violence décrite, sinon évoquée. Or la violence est si souvent associée à cette littérature communément appelée « héroic fantasy » qu’il y avait semble-t-il de quoi dérouter l’acheteur éventuel. De là à conclure que ce livre n’est pas tout à fait de l’héroic fantasy, il n’y a qu’un pas, et je le franchis volontiers. En premier lieu, j’avoue déplorer l’emploi presque systématique de ce mot anglo-américain pour désigner un genre qui, bien loin de n’être que l’apanage des îles britanniques ou des États-Unis, est très largement répandu sur tous les continents et vieux comme le monde. Le problème posé par l’acceptation générale du terme dans la sphère éditoriale est qu’il tend à assimiler toute publication ainsi estampillée à une copie, plus ou moins réussie, du Seigneur des anneaux. 

Casque russe (copie)

A travers ce grand récit, J. R. R. Tolkien souhaitait réinventer une mythologie qui fût propre à l’Angleterre, puisant ainsi largement dans celle des sagas islandaises, berceau des traditions légendaires européennes. Son érudition sans faille, la somme de travail fourni, l’imagination et l’humanisme dont il a fait preuve dans l’épopée des hobbits méritent sans conteste le succès rencontré par son œuvre. Mais si le terme d’héroic fantasy est justifié dans son cas, de par le caractère épique de la narration et le comportement précisément « héroïque » des personnages principaux, il ne l’est pas pour tous les écrits de ce genre. Certes, les contes de fée de notre enfance sont en principe des textes très courts. Une trilogie d’environ 800 pages vous expose fatalement à une comparaison avec l’auteur de Bilbo plutôt qu’avec Andersen ou les frères Grimm. Cependant, je ne crois pas que l’on puisse qualifier Les voyages de Gulliver de Swift, Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, La belle et la bête de Mme Leprince de Beaumont, ou Don Quichotte de Cervantès, par exemple, d’héroic fantasy. Or ces lectures-là ont laissé une empreinte autrement profonde sur mon adolescence et mes tentations littéraires. De manière générale, je dirais que l’imaginaire revêt bien d’autres formes et me paraît plus étendu que le modèle imposé par le talent indéniable d’un Tolkien et l’influence qu’il a exercé sur ses disciples. Je me sens d’autant plus autorisée à minimiser cette influence en ce qui me concerne que les trois volumes de cette célèbre trilogie me sont arrivés tardivement entre les mains, alors que la rédaction de Corliande était déjà commencée.
              En outre, sans vouloir faire preuve d’aucun chauvinisme, (je m’en voudrais, moi qui aime tant d’auteurs britanniques) pourquoi devrait-on mettre au rebut des mots tels que « féerie », « contes », « fables » ou « légendes », lesquels sont non seulement de jolis mots, mais sont aussi plus anciens que le terme anglo-saxon, plus vastes et par là-même délestés de toute connotation évoquant dans l’inconscient collectif les exploits de Frodon et d’Aragorn ? Si je les trouve plus aptes à définir Corliande, c’est qu’ils nous renvoient à une toute autre poésie, à un symbolisme différent, plus complexe, plus onirique, plus surréaliste aussi, que celui principalement exprimé dans l’opposition des forces du bien et du mal, même si l’on ne peut réduire le seigneur des anneaux à cette dualité. 

Baltos et Serylia (Livre I, chapitre VI)

Alors qui sont au juste Baltos et Serylia ? Des personnages attachants, je l’espère, mais nullement des « héros » au sens chevaleresque du terme. Hybrides eux aussi, ils sont proches des animaux presqu’autant que des humains. Insouciants par nature, ils aiment la paix et la tranquillité, comme tous les corliandais. Ils sont juste un peu plus curieux, plus aventureux que leurs semblables, bien que devant faire face au danger presque toujours contre leur gré. La guerre leur fait horreur, comme toute forme de violence, et tuer un être vivant quel qu’il soit, et pour quelque raison que ce soit, leur semble inenvisageable. La notion de courage leur est étrangère, et elle le restera, ce qui n’en fait pas pour autant des lâches ou des médiocres. La performance physique les laisse de marbre, attirés qu’ils sont bien davantage par la résolution d’énigmes, fussent-elles existentielles, que par l’épreuve de force corporelle et l’affrontement d’ennemis hypothétiques. Le voyage qu’ils entreprennent est initiatique. Il ne les entraînera pas dans des faits d’armes, pas plus qu’il ne leur fournira l’occasion de s’enorgueillir d’une performance quelconque, de remporter une victoire spectaculaire ou d’accroître leur pouvoir. Ils connaîtront la peur et la joie,  l’injustice et l’émerveillement. Ils découvriront peut-être qui ils sont, ou peut-être pas, mais ils reviendront avec la certitude que le devenir est entre leurs mains, et que, d’une manière générale, la question en elle-même est bien plus importante que toutes les réponses possibles

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